« Le Livre d'heures de Valréas, un document hors du commun »
Pour les non-initiés, ce titre Le Livre d'Heures de Valréas peut paraître étrange ; il ne s’agit pas d’un calendrier ou d’un agenda... encore que.
Un « livre d’heures » est un genre de missel personnel, privé, à l’usage de laïcs . La meilleure comparaison que l’on pourrait faire serait le bréviaire des ecclésiastiques.
Le bréviaire est un ouvrage qui indique au clergé les fêtes à célébrer au cours de l’année avec les prières afférentes, notamment tout au long de la journée d’où le nom de « livre d’heures ».
Ces livres d’heures sont antérieurs à l’invention de l’imprimerie, d’où le nom de manuscrit donné à celui de Valréas et à tous ses semblables. Pour différencier les rares textes qui nous soient parvenus, on leur donne le nom de leur propriétaire initial ou du lieu où ils ont été découverts. Les premiers remontent au XIV ème siècle, tel celui qui nous intéresse. Chacun est donc une pièce unique par sa date, son format, son nombre de pages, l'abondance et la qualité de son décor. Comme pour la plupart de ces livres, les couleurs sont d'une grande fraîcheur car peu souvent exposés en pleine lumière.
Ces ouvrages sont de petites dimensions, nous dirions de nos jours « livres de poche » car ceux-là aussi pouvaient se glisser dans la poche d’un vêtement pour se rendre à l’office ; celui dit « de Valréas » mesure 75 mm x 112 mm. Il était constitué de 52 feuillets de parchemin reliés de cuir.
L’intérêt historique de ce type de documents vient de leur extrême rareté car accessible alors seulement à une élite fortunée (monarques, haute noblesse), leur réalisation étant très longue donc coûteuse : pages manuscrites et illustrations d’artistes pour les rendre moins austères.
Leur intérêt artistique réside dans la qualité des illustrations, plus exactement des enluminures. Sans être spécialiste, nous avons entendu parler des « Très riches heures du Duc
de Berry » qui ont participé à une prestigieuse exposition thématique tenue à la BNF à Paris, aux côtés desquelles figuraient aussi « le Livre d'Heures de Valréas » (1955). Les décors de notre document valréassien se limitent à l’encadrement (marges) de certaines pages (animaux, végétaux).
Nos « riches heures valréassiennes » sont moins connues que celles du Duc de Berry pour plusieurs autres raisons :
- en premier, nous n’avons pas la traçabilité initiale du document . Les spécialistes y ont vu la main d'au moins 2 ateliers d’enlumineurs (dont une vingtaine d’artistes) du Bassin Parisien, un des principaux foyers de production. Peut-être s’agit-il d’une commande de l’entourage royal, puis d'un transfert par Dauphin interposé (fils aîné du roi) dans « sa » province, puis dans notre ville, aux confins du Dauphiné ; et de ces Dauphins, un possible passage aux Grignan-Adhémar dont les sépultures étaient dans notre couvent des Cordeliers. Et c’est de ce couvent que proviendrait, à l’occasion des troubles liés à la Révolution, le manuscrit, vendu au XIX ème siècle au musée Calvet d’Avignon, vente effectuée par un fils de pasteur originaire de notre proche région. Certaines de ces hypothèses sont à vérifier et à confirmer.
- ensuite, la méconnaissance de notre document est aussi due à l’impossibilité de pouvoir en faire une étude complète car une partie importante a été subtilisée au musée il y a près d’un demi-siècle. C’est la récente découverte de la partie volée ( 36 feuillets ) par le chercheur suédois Thomas Bergqvist-Rydén, spécialiste des enluminures gothiques, qui a refait parler du « manuscrit de Valréas ». Grâce à sa vigilance et son expertise, le « Livre d'Heures de Valréas » est maintenant complet (Cf article produit par ce chercheur dans la revue professionnelle PECIA - volume 23 ).
Puisse cette récente re-découverte, susciter un regain d’intérêt pour ce document notamment au niveau de son étude. En ce qui nous concerne, veillons à ce que ce document ne perde pas sa dénomination ancienne « de Valréas », qui témoigne d’une réelle et précoce
activité intellectuelle dans notre ville. Il pourrait même devenir, par sa qualité, l’emblème de ce passé culturel.
Ne nous berçons pas d’illusions, le document ne retrouvera pas demain le chemin de l’Enclave, mais tâchons de nous procurer et de présenter des copies de qualité d’un document qui porte haut le nom de Valréas ; cela donnerait à notre ville une notoriété supplémentaire. Après tout le célèbre cratère de Vix n’a pas eu besoin de rester sur son lieu de découverte pour porter encore son nom. De même, cette œuvre d'exception est un témoin parmi d'autres, du riche passé historique de Valréas.
Henri Veyradier
Janvier 2023
NOTA
L'auteur remercie :
- Messieurs Colignon , Mège, Peyronnel qui ont contribué à la réalisation de cet article
en fournissant des documents issus de leurs propres recherches.
- Le journal « Le Dauphiné Libéré » dont la première photo est issue.
- L'IRHT-CNRS (catalogue initial) d'où sont extraits les deux autres clichés.
Clichés des 52 feuillets du Livre d'Heures de Valréas, gracieusement communiqués à la ville de Valréas par la Fondation Calvet, propriétaire de ce manuscrit exceptionnel depuis le 24 février 1873.
Article de Thomas Bergqvist- Rydén
Traduction résumée
Traduction résumée de l'article présenté en langue anglaise, dans la revue scientifique « PECIA – le livre et l'écrit », volume 23, sous le titre « Le manuscrit médiéval » par le chercheur suédois Thomas Bergqvist-Rydén. Cette revue internationale entend « promouvoir les études de bibliogie par la publication de contributions dédiées à l'histoire du livre manuscrit au Moyen Âge ».
Histoire du manuscrit :
En février 1893, la fondation Calvet à Avignon acquiert un manuscrit pour 40 francs or auprès d’un couvent de Valréas. Le bibliothécaire Louis Henri Labande le décrit ainsi l’année suivante dans le Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France :
« XIVe siècle. Vélin. 52 feuillets ; quelques-uns mutilés. 112 x 75 millim. Les pages sont encadrées de dessins miniaturés avec animaux réels ou fantastiques, personnages, oiseaux, fleurs, etc., d’un excellent style. Couvert. Cuir. – (Provient d’un couvent de Valréas. – Acquis le 24 février 1893). »
En 1927, le manuscrit est exposé au musée Calvet, et en 1955 à l’importante exposition, « Manuscrits à peintures du XIIIe au XVIe siècle » à la Bibliothèque nationale de France, le livre d’heures de Valréas y est exposé entre les Heures de Jeanne de Savoie et le Procès de Robert d’Artois. Jean Porcher date Les Heures de Valréas d’aux environs de 1330 avec la description suivante :
« Débris presque ruinés d’un livre de très belle qualité, dont le décor (encadrement et quelques figures de fantaisie) peut être attribué à un atelier analogue à celui de Jean Pucelle. Le format et l’ordonnance générale rappellent les Petites Heures [Le livre d’Heures de Jeanne d’Evreux] qui ont été attribuées à cet artiste, en beaucoup plus simple. »
En 1980, quand le manuscrit appartenant à la fondation est confié à la garde de la Bibliothèque municipale, la perte de 40 feuillets est découverte. Les 12 feuillets restants sont exposés en 1993 lors de l’exposition « Les Manuscrits à peintures de la bibliothèque municipale d’Avignon XIe-XVIe siècles », décrites avec tristesse par Marie-Claude Léonelli :
« Trouées, mouillées, dé-reliées, non foliotées, ces pauvres épaves conservent un double intérêt : par la date, précoce, du livre d’heures auquel elles ont appartenu, et par l’abondance du décor. Chaque feuillet comporte dans ses marges, échappés du tracé des lettres peintes, des antennes courbes, des rameaux de vignes, des chimères. Quelques animaux, un homme jouant de la cornemuse (fol. 10v), des êtres hybrides, les peuplent. La scène de chasse du fol. 11v répète le stéréotype le plus fréquent de l’époque, un chien poursuivant un lièvre. »
Avec une brève mention dans l’enquête de Francesca Manzari « La miniatura ad Avignone al tempo dei papi », c’est tout ce qui a été publié à propos de ce manuscrit.
En 2003, les feuillets volés réapparaissent, proposés à un expert en manuscrits reconnu, Peter Kidd. La même année, des feuillets sont vendus séparément sur un site internet d’enchères. Trois feuillets avaient déjà été vendus, quand un autre feuillet attire l’attention de M. BERGQVIST-RYDEN.
Le vendeur, un numismate habitant d’un village près de Montpellier, accepte de vendre tous les feuillets restants, disant qu’il les avait achetés à un brocanteur à Avignon dans les années 1970. Ils étaient supposés venir du «débarrassage » d’une maison à Carpentras. M. BERGQVIST-RYDEN a ensuite pu suivre la trace des trois feuillets déjà vendus. Un feuillet, fol.14, avait fini en Arizona, et deux feuillets, fol.43 et 44 en Suède. M. BERGQVIST-RYDEN a réussi à convaincre les deux propriétaires de lui vendre les feuillets. D’après le numismate, il y avait encore quatre feuillets, mais ceux-ci étaient complètement détériorés.
M. BERGQVIST-RYDEN était convaincu que les 36 feuillets en sa possession constituaient une partie inconnue du manuscrit, qu’il avait identifié sur une base d’archives comme étant constitué de 52 feuillets. Il contacte donc la Médiathèque Ceccano dans l’intention de commander des photos supplémentaires, et découvre qu’il ne restait en leur possession que 12 feuillets.
Il comprend instantanément que « ses » feuillets étaient les feuillets volés, et donc a offert de les rendre à leur propriétaire légitime. Durant la longue procédure de restitution, Il découvre, par pur hasard, les quatre feuillets manquants, pensés perdus, à une vente aux enchères à Paris. Les quatre feuillets avaient de toute évidence été gardés par le vendeur, sous un faux prétexte, et étaient maintenant mis aux enchères dans le cadre de sa succession. Informées les autorités françaises ont pu agir rapidement pour arrêter la vente et les quatre feuillets ont été renvoyés à Avignon.
Les 36 feuillets ont fini par être restitués par M. BERGQVIST-RYDEN à des représentants de la Fondation Calvet et de la médiathèque Ceccano au cours d’une cérémonie à l’ambassade de France à Stockholm en septembre 2019.
Le Livre d’Heures de Valréas était jusqu’à présent tout simplement inconnu de la communauté scientifique, et aucun des 40 feuillets volés n’a jamais fait l’objet d’aucune publication. Toutes les conditions étaient maintenant rassemblées pour qu’une étude puisse être menée. M. BERGQVIST RYDEN s’est donc lancé dans une publication visant à présenter le manuscrit tout en tentant de décrire l’histoire complexe du livre, le processus collaboratif des décorateurs, de suggérer aussi l’attribution des œuvres aux différents artistes impliqués, afin de proposer une origine et un processus plausible de production. Le présent résumé est largement inspiré de cette publication.
Description du manuscrit :
Le manuscrit dans son état actuel est constitué de 56 feuillets de vélin, majoritairement consécutifs, à l’exception de quelques lacunes. Sa structure originale a été perturbée par des substitutions, des pertes anciennes et des démembrements plus récents.
Seuls les 12 feuillets qui avaient été conservés en Avignon sont reliés pour le moment.
Les dimensions moyennes des feuillets sont 113x75 mm, avec une justification de 64x41 mm et 13 lignes par page.
L’écriture est une écriture manuelle gothique classique par au moins quatre scribes. La partie originale est à l’encre noire avec rubriques en rouge, les parties ajoutées à l’encre brun clair.
Le scribe 1 est reconnaissable sur 57 pages (fol. 1 recto à 11 recto, 30 recto à 47 verso), le scribe 2 sur 3 pages (fol. 11 verso à 12 verso), le scribe 3 sur 10 pages (fol. 48 recto à 52 verso), le scribe 4 sur 36 pages (fol. 12 recto à 29 verso). Pour le moment, l’identification des scribes n’a pas pu être menée. Une telle analyse serait très utile et permettrait de mieux comprendre la genèse du manuscrit, sur la base des collaborations identifiées.
Toutefois, il apparaît d’ores et déjà que la partie écrite par le scribe 1, très appliqué, présente des similarités avec des manuscrits produits par des cercles de collaboration tant de Pucelle que de Richard de Verdun. Le Scribe 2 montre quelques particularités flamboyantes qui réapparaissent peut être dans le Missel de Montier-en-Der. Il serait intéressant de confirmer que le scribe 4 puisse être l’un des scribes royaux Jean d’Avenant, Henri de Trévou ou Raoulet d’Orléans.
L’épaisseur du Vélin varie.
Dans sa forme actuelle fragmentaire les Heures de Valréas contient la partie tardive d’un supposé livre d’Heures à caractère général.
Une partie importante, fol. 12 recto à 29 verso, diffère en apparence du reste du manuscrit du point de vue de la décoration, de l’encre, du tracé et de l’épaisseur du vélin. Toutefois deux feuillets regroupent les deux types de décoration, qui pourraient porter à croire à une cohabitation des deux styles. Un examen très fin permet de discerner que les feuillets concernés sont en fait constitués de deux feuillets d’épaisseur différentes collés ensemble. La jonction est presque invisible à l’extérieur, mais côté intérieur reliure, les bords des feuillets plus fins peuvent être discernés.
La raison de cette substitution est probablement multiple. Il peut être simplement question de « mise à jour » liturgique. Il est possible aussi que certaines adaptations aient été faites en raison d’un transfert d’une congrégation à une autre, pour un usage franciscain par exemple en introduisant les saints fondateurs (Claire et François). Il se peut également que la raison soit dans un souci de cohésion artistique.
Les textes correspondant aux Heures de la Croix et aux heures du Saint Esprit sont normalement inclus dans les parties manquantes. Des lacunes correspondant à ces textes sont bien identifiées dans le manuscrit. Les textes attribués à Jean XXII ne peuvent être que des additions postérieures. L’écriture de ces textes à l’encre brune est moins raffinée et le vélin plus grossier.
Enlumineurs :
La recherche dans le domaine de l’enluminure française gothique est exceptionnelle à plus d’un titre. En effet, le nombre de manuscrits en bon état est très important, la qualité des décors est extraordinaire, les différences de styles souvent faibles, les structures de collaboration souvent complexes. Les experts ont des opinions divergentes quant aux critères stylistiques d’attribution à tel ou tel enlumineur. Le champ de recherche est en renouvellement continuel, la digitalisation permettant une accessibilité mondiale aux manuscrits. M. BERGQVIST-RYDEN se risque néanmoins dans sa publication à alimenter le débat.
Il identifie 9 artistes contributeurs aux feuillets restants. Dans la mesure où le manuscrit est fragmentaire, la première partie manquant, il est difficile de désigner l’artiste dominant. Dans les parties perdues, la distribution des contributions a pu être différente et d’autres artistes ont pu contribuer. Il a numéroté les artistes en fonction de l’importance relative de leurs contributions. A l’exception de 2 ou 3 d’entre eux, ils sont facilement discernables les uns des autres grâce à leur différences stylistiques.
Artiste 1 : 20 feuillets Proche de Richard de Verdun
Artiste 2 : 13 feuillets Maître du Sacre de Charles V
Artiste 3 : 6 feuillets Anciau de Sens
Artiste 4 : 5 feuillets Maître des Concordances
Artiste 5 : 5 feuillets Enlumineur d’Avignon
Artiste 6 : 1.5 feuillets Montpellier Chans. Fascicule VIII
Artiste 7 : 1 feuillet Richard de Verdun
Artiste 8 : 0.5 feuillet Maître 4 in BAV, Urb.lat.603
Artiste 9 : 0.5 feuillet Jean Pucelle
L’identification de l’artiste 7, Richard de Verdun aussi connu sous le nom de Jean de Papeleu, a été assez facilitée par le repérage d’éléments caractéristiques de cet artiste (un singe, un chien, un lapin, un oiseau, les ramifications, …). L’identification peut néanmoins être compliquée par le fait que sur une même page le dessin et le coloriage peuvent être faits par des mains différentes.
L’artiste 1 est le plus proche de l’artiste 7. Son œuvre présente de nombreuses figures communes avec celles de Richard de Verdun, mais se caractérise par des dessins plus variés et un grand nombre de créatures animées interagissant les unes avec les autres. Singes, oiseaux, chiens, lapins, créatures hybrides et humains apparaissent dans deux thèmes iconographiques, la chasse et la musique. La structure des ramifications est diversifiée. Les êtres humains sont bien proportionnés et dans des postures élégantes. Les oiseaux volent toujours, les chiens courent et aboient, différentes espèces jouent d’instruments de musique et de nombreux hybrides dragons-humains jouent de la trompette. Les dessins partagent beaucoup de caractéristiques avec des décorations attribuées à Maître Honoré et surtout au maître de Méliacin. Le bréviaire de Philippe Le Bel et le missel de Becquard archevêque de Sens montrent que les sources d’inspiration de cet artiste et peut-être sa formation peuvent être trouvées dans un cercle restreint, elles sont proches de celles de Richard de Verdun, mais avec une expression différente.
Des similarités stylistiques sont évidentes sur les figures et les animaux présents dans la bible de Gulbekian, un psautier de Naples et dans une bible de Berlin, tout comme dans le Bréviaire de Poissy. Les similarités ne se limitent pas aux figures de styles, mais aussi les figures présentent les mêmes activités et interactions, la composition des hybrides et la disposition des figures au sein des décorations des marges sont proches.
M. BERGQVIST-RYDEN pense que l’œuvre de l’artiste 1 a été confondue avec celle de Richard de Verdun. Les tentatives d’attribution de l’œuvre du dénommé « Maître des Fables », qui a travaillé de manière très proche avec le maître de Méliacin dans les dernières années du XIIIème siècle et avec le jeune Richard de Verdun sont peut-être aussi erronées. Le manuscrit d’Avignon montre que ces deux styles, aussi proches soient-ils, ne sont pas dus à une évolution de style d’un même individu, mais bien l’œuvre de deux artistes distincts, collaborant dans une relation ressemblant plus à celle entre Richard et Jeanne de Montbaston qu’à celle entre un maître et son assistant.
Les décorations de l’artiste 6 sont difficiles à caractériser. Les ramifications et le feuillage sont similaires tant à ceux de l’artiste 1 qu’à ceux de l’artiste 3, mais de légères différences telles que les ramures superposées, la forme des petites feuilles et la courbure plus grande des ramifications le distinguent.
Ces éléments pointent vers les artistes qui ont décoré la dernière partie du BAV, Urb 603. L’artiste des scènes picturales a été identifié comme le maître des Concordances des Evangiles, mais les grandes ramifications plongeantes ne lui sont pas plus attribuées qu’à quiconque.
M. BERGQVIST-RYDEN est tenté par un rapprochement avec la dernière partie du livre Montpellier Chansonnière, daté de 1317, qui semble proche de Urb. 603. Ces trois artistes, ancrés dans la tradition du XIIIème siècle tardif, sont probablement les plus âgés, alors que le style d’une génération plus jeune est discernable dans les autres parties attribuées aux artistes 3, 4, 8 et 9.
Les encadrements des artistes 3 et 4, avec des baguettes, des vrilles délicates, l’alternance de petites et de grandes feuilles de vigne et occasionnellement des petites figures, incarnent la quintessence du style Pucellien, qui allait dominer le siècle débutant. Bien que ces décorations ressemblent énormément aux décorations des marges du prolifique Mahiet, généralement identifié au libraire Le Vavasseur, M. BERGQVIST-RYDEN est réticent à lui attribuer les œuvres du Livre d’Heures de Valréas.
Les vrilles et les feuilles de l’artiste 3 sont particulièrement proches de celles des Miracles de Notre Dame par Gautier de Coinci, alors que les vrilles et les baguettes de l’artiste 4, légèrement différentes, sont plus proches des décorations des marges du Bréviaire de Jeanne d’Evreux et du Psautier de Waddesdon, du calendrier du Bréviaire de Blanche de France, du BAV, Urb 603, du bréviaire de Saint Germain des prés et par-dessus tout du feuillage du livre d’Heures de Jeanne de Savoie. Cela introduit la possibilité de deux artistes distincts, si proches d’un point de vue style, qu’ils devaient travailler dans le même atelier. Un examen plus minutieux pourrait peut-être révéler que les dessins ont été faits à deux mains, alors que le coloriage a été fait par une seule main. Un de ces artistes est probablement l’auteur des petites représentations figuratives du Livre d’Heures de Jeanne de Savoie.
M. BERGQVIST-RYDEN n’exclut pas que cet artiste soit le même que celui associé à Jeffrey Homberger pour le frontispice des Miracles de Notre-Dame. Mais l’idée communément admise que le Livre d’heures de Jeanne de Savoie est une œuvre précoce de Jean Pucelle lui-même, est convaincante, en considérant les similarités avec de nombreux petits détails dans d’autres manuscrits pucelliens, et la manière dont son imagerie a été copiée dans le Livre d’Heures de Jeanne de Navarre. Si toutefois, le Livre d’Heures de Jeanne de Savoie n’a pas été fait par Jean Pucelle, il n’y a aucun doute, l’artiste est celui qui a exécuté 128 feuillets de Urb, lat 603, le Maître des Concordances des Evangiles, ainsi que le second artiste des Heures de Jeanne de Navarre, qui peut être un seul et même artiste, si on regarde attentivement les figures et drôleries des bas de pages.
M. BERGQVIST-RYDEN pense qu’il y a des raisons de croire que les encadrements des feuillets 27 à 32 ont été exécutés par l’artiste responsable des ramures décoratives de la Bible de Billyng, Anciau de Sens, aussi impliqué dans le Bréviaire de Belleville, et peut-être contributeur du missel d’Arras.
M. BERGQVIST-RYDEN suggère que le même enlumineur est l’auteur d’additions à de nombreux manuscrits alors propriété royale. Si l’addition au livre d’Heures de Blanche de Bourgogne, femme de Charles IV, contenant les heures de la croix et du Saint Esprit est à l’intention du propriétaire originel du manuscrit, il parie volontiers que cette partie correspond en fait aux heures du Saint-Esprit et heures de la Croix que Mahaut d’Artois a acheté auprès du libraire Nicole, rue Neuve Notre-Dame en 1326, l’année où sa fille Blanche mourut en prison suite à l’affaire de la tour de Nesle.
Le seul Nicole rue Neuve Notre-Dame, enregistré à la Taille est Nicolas l’Englois, relieur, ce qui est intéressant dans le cas d’un ajout à un livre existant. Dans leur travail impressionnant sur la production de manuscrits à Paris, Richard et Mary ROUSE ont identifié une famille active sur le marché du livre avec un surnom toponymique « de Sens ». Nombre d’entre eux sont aussi appelés l’Englois, ce qui conduit à penser que Nicolas L’Englois était membre de cette famille, et donc probablement le père ou l’oncle de Anciau de Sens, qui a enluminé la partie commandée par Mahaut d’Artois pour sa fille. L’artiste 2 contribuait clairement à des ouvrages, possessions royales.
L’artiste 8 montre des dispositions différentes des vrilles et feuilles. Un feuillage plus dense avec des petites feuilles placées de manière symétrique et des vrilles symétriques partant des lignes de texte montre des similarités avec de nombreux manuscrits associés à la faculté de Paris. Un feuillage dense semblable est attribué au maître de Gand, mais celles-ci sont trop atypiques par rapport au style habituel de cet artiste, il pourrait cependant s’agir d’une évolution de style. Il est également possible que le feuillet concerné (33 recto) puisse être attribué à l’artiste 4.
Le Chien dans le manuscrit d’Avignon est svelte avec une tête fine, la face marquée et des oreilles attachées haut sur la tête. Ce genre de chien se rencontre dans les manuscrits du maître de Gand, mais aussi dans d’autres manuscrits attribués à l’artiste 4.
François Avril a associé cet artiste au nom de Jean de Verdun, une supposition étayée par le fait que le scribe des Comites Latentes, en partie illustrés par Richard de Verdun est Gautier de Verdun, laissant supposer une affaire de famille incluant Jean de Verdun déclaré comme enlumineur dans le registre des tailles. Cette hypothèse est consolidée par le contexte du Livre d’Heures de Valréas.
Un hybride humain à capuche avec une queue feuillue, un ange plongeant, un lapin et l’extension des lettres initiales sont l’œuvre de l’artiste 9. Bien que très endommagé en raison de la détérioration acide du vélin, la délicatesse des lignes et l’iconographie spécifique est clairement reconnaissable comme l’œuvre de Jean Pucelle. Le type d’hybride, plus tard copié par Jean le Noir et d’autres disciples pucelliens se retrouvent dans d’autres ouvrages, notamment dans le livre d’Heures de Jeanne d’Evreux. Il apparaît aussi dans une charte enluminée conservée aux archives nationales, attribuée à Jean Pucelle. Cette charte est datée de 1318, et présente trois hybrides du même vocabulaire stylistique et iconographique que les Heures de Jeanne d’Evreux.
L’artiste 5, dont l’œuvre se limite aux cinq derniers feuillets, ne présente pas la même qualité d’exécution, notamment les vrilles sont plutôt raides. Il est difficile de trouver des rapprochements avec des manuscrits parisiens. Le maître de Fauvel et Richard et Jeanne de Montbaston montrent de légères similarités, mais pas suffisantes pour constituer la base d’une attribution solide. Par contre, de telles caractéristiques se retrouvent dans le sud de la France, notamment dans des missels de Toulouse, et dans un autre manuscrit d’Avignon. Le remplacement effectué par l’artiste 2 est clairement postérieur de quelques décennies au reste de l’ouvrage. Le feuillage est distinctement regroupé en compartiments plutôt que répartis sur toute la surface. Les dragons ont des têtes de lions et l’encadrement est clairement rectangulaire. Avec seulement des éléments décoratifs génériques, il est difficile de les attribuer à un artiste en particulier, mais ils semblent être spécifiques à cette période, à savoir le dessin de baguettes plus fines avec des boucles de tiges, que l’on retrouve dans le missel de Saint Denis, la bible de Jean II le Bon, le livre des anciens juges réalisé pour Charles V en 1361, à l’époque encore dauphin, ainsi que dans d’autres manuscrits associés à Charles V.
Les petites boules uniformément réparties sur les tiges de l’initiale E sur le feuillet 24 verso du Livre d’Heures de Valréas réapparaissent avec les mêmes dragons dans de nombreux manuscrits. M. BERGQVIST-RYDEN souhaite attribuer la partie ajoutée au Livre d’Heures de Valréas à l’artiste appelé le maître du livre du sacre de Charles V, qui a été au service de Jean le Bon et de Charles V, souvent illustrateur de manuscrits écrits par Roulet d’Orléans, et probablement collaborateur du principal artiste du missel de Saint Denis, le maître du Remède de Fortune.
Iconographie :
En dépit de l’absence de grandes enluminures et d’initiales historiées, les marges des Heures de Valréas sont bien remplies. Deux principaux thèmes iconographiques, se chevauchant souvent, dominent le récit : la chasse et la musique.
La chasse au cerf sur le folio 45 verso avec un chien et un chasseur jouant du cor est une composition classique. D’habitude dans le milieu de ces artistes, il y a deux chiens, mais ici le motif a été adapté à des dimensions plus limitées du livre. Moins commune est la chasse au sanglier avec épieu sur le folio 42 recto, bien qu’il apparaisse aussi dans la Bible de Gulbenkian.
Sur presque toutes les pages des chiens chassent des lapins ou des oiseaux, et contrairement à beaucoup d’oiseaux dans les manuscrits de cette époque, presque tous sont en vol. Un homme vise un oiseau avec un arc et une flèche sur le folio 34 recto, et sur la page suivante, un singe vise un être hybride. Les rôles de chasseurs, meute et proie sont parfois distordus, comme sur le folio 39 verso où un être hybride joue du cor et un singe poursuit un gibier à plumes. Des lapins se cachent, des chiens aboient. Singes, lapins, chiens et chats jouent du tambourin et de la flûte, une chèvre joue de la cornemuse, et de nombreux êtres hybrides, parfois coiffés de mitres, et des singes jouent de longues trompettes droites. Sur le folio 5 recto un singe couronné joue de la harpe comme une caricature du roi David.
L’interprétation allégorique d’une chasse fructueuse correspond à l’atteinte des objectifs d’une vie, à la réalisation de ses ambitions morales et à une vie harmonieuse dans la félicité conjugale. Tout ceci est matérialisé par l’image des amoureux sur le folio 9 verso. C’est la seule page où tout est en repos. Ce type de figures se retrouve dans de nombreux ouvrages de l’époque. Un motif similaire d’amour courtois dans lequel amour et chasse sont fusionnés dans l’Offrande de cœur, se retrouve dans des sculptures ou des tapisseries telles que la tapisserie du Louvre, où un couple est entouré de lapins et de chiens, tels chasseur et proie, homme et femme.
Les sujets allégoriques moraux directement liés à ces thèmes appellent à la retenue et à la tempérance. Le porteur d’eau du folio 8 verso équilibrant ses charges peut être opposé au médecin hybride du folio 36 verso, examinant des urines pour déterminer l’équilibre des humeurs. Un homme accroupi, probablement un moine, hélas en parti caché par la reliure sur le folio 8 verso, par sa posture et la petite baguette dans sa main droite est un motif récurrent de nombreux manuscrits pucelliens. Si cela n'était pas suffisant, les singes sur le folio 44 verso en sont aussi un exemple marquant, mimant Adam et Eve goûtant un fruit poussant sur le rinceau des lettres bibliques, l’un d’eux ayant une jambe avec une chaîne et un boulet comme allégorie du piège des désirs. Les hybrides féminins des folios 7 recto et 45 recto, qui s’admirent dans des miroirs, sont des alertes sur les risques de la vanité ou peut-être des encouragements à la prudence. En contraste avec ces stimulations pédagogiques, l’ange du folio 8 recto peut être considéré comme la seule image de dévotion, aujourd’hui préservée, du livre d’Heures de Valréas.
Généralement considéré comme fruit de l’influence italienne de Duccio Maesta, les anges de part et d’autre de la crucifixion, avec des gestes de tristesse et de désespoir contribuent au raffinement émotionnel de l’art pucellien. Dans les heures de Valréas, accompagné par des drôleries plus traditionnelles, l’ange semble d’une certaine manière hors de propos. Sans information sur ce qui a pu disparaître quand une grande partie des folios 13 à 25 ont été échangés dans la deuxième moitié du quatorzième siècle, nous ne pourrons jamais savoir si l’ange faisait partie d’un projet plus large.
Comme déjà mentionné, l’ange dans les Heures de Valréas montre deux positions des bras : une avec les bras étendus, l’autre avec les mains jointes devant lui, proche de celle des anges de la crucifixion du Livre d’Heures de Jeanne d’Evreux, mais pas identique. Il y a plusieurs possibilités de transmission de ce type de figures, transmission par apprentissage ou par l’intermédiaire de dessins.
La question de comment ces concepts italiens sont arrivés à Paris a été traitée dans de nombreux ouvrages, en particulier s’agissant de l’influence de Duccio et Giotto sur Pucelle. Un « grand tour » au sens du 19ème siècle, le menant à Sienne et Florence semble peu probable étant donné les conditions de déplacement de l’époque. Bien que la présence de lombards à Paris soit avérée, le canal d’échanges culturels entre la papauté d’Avignon et la cour angevine de Naples est plus probable. La preuve de la présence de Jacquet Maci à Avignon, collaborateur de Jean Pucelle est patente dans les manuscrits produits pour Jean XXII et la présence du maître de Gant est suggérée par la collaboration avec un scribe avignonnais à l’époque de Armand de Narcès (Archevêque d’Aix).
L’hypothèse de l’influence italienne sur Jean de Pucelle datée de 1320, coïncide bien avec la présence de deux de ses collaborateurs à Avignon mais aussi avec les échanges intenses entre Robert d’Anjou, Roi de Naples et comte de Provence et la cour papale française. Deux évènements méritent d’être notés dans ce contexte : l’ambassade de Hughes III de Bouville à Naples en 1314 dans le but de négocier le mariage de Louis X le Hutin et de Clémence de Hongrie (Nièce de Robert d’Anjou) et l’expédition militaire de Philippe de Valois en appui à Robert d’Anjou en 1319-1320. Jean XXII a été le chancelier de Charles II d’Anjou (père de Robert) et ses liens étroits avec la dynastie angevine peut se lire dans la canonisation du frère de Robert, Louis de Toulouse en 1317 et le soutien loyal de Robert au Pape dans les controverses théologiques. Jean XXII mais aussi Philippe de Valois ont soutenu Robert dans sa défense de Gênes face aux gibelins, ce qui lui permit d’obtenir le soutien de Florence, Sienne et Bologne. Jean XXII fit Robert vicaire de toute l’Italie. Au même moment la nièce de Robert, Clémence de Hongrie devenue veuve résida à Aix-en-Provence à l’instigation du Pape, et en avril 1319 Robert lui-même déménagea sa cour à Avignon et y resta jusqu’en 1324. A cette époque, d’ambitieux projets de constructions, dont les fondations du palais des papes et les hôtels particuliers de divers cardinaux attirèrent de nombreux artistes italiens en Avignon. L’élève de Duccio, Simone Martini ne commença probablement pas à travailler à Avignon avant les années 1330, et les hypothèses de Vasari sur le séjour de Giotto en Avignon n’ont pas été confirmées. Le travail de Giotto pour le cardinal Stefaneschi à cette époque, est l’une des marques de la haute estime dont il jouissait tant auprès du Pape que de Robert d’Anjou. Il y a des raisons de croire que justement dans les années 1319 à 1324 l’inspiration italienne de Jean Pucelle s’est transmise plus en Avignon qu’en Italie.
La dernière figure iconographique significante du manuscrit est le dauphin, rarement vue dans les enluminures de manuscrits, hors marques héraldiques. Les hybrides de dauphins sont encore plus rares. Au contraire des têtes humaines de la plupart des autres hybrides dans le Livre d’Heures de Valréas, la tête de Dauphin est clairement profane. Son visage est un peu plus individualisé que les visages génériques ce qui le singularise des autres hybrides. Il existe des exemples comparables dans d’autres manuscrits, notamment dans le missel de Saint Denis.
A côté du dauphin sur la même page figure le seul lion restant des Heures de Valréas. Le lion est l’animal héraldique le plus évident, pourtant dans ce contexte, il semble que le lion n’est pas seulement un symbole de puissance et de force, de force morale, mais aussi un symbole du chasseur idéal, une image allégorique de l’amant idéal, un point de vue exprimé abondamment par Guillaume Machaut dans Le dit doux Lion (vers 1342), mais aussi bien établi dans la tradition de la littérature cynégétique depuis le treizième siècle. La juxtaposition du dauphin et du lion indique une relation entre les deux, par effet soit de contraste soit d’identification, si le dauphin est vu dans le récit de la chasse comme le maître des chiens, l’analogie est claire. Il est très probable que le dauphin renvoie au titre de Dauphin, titre de l’héritier officiel du trône récemment établi. Le rapprochement entre un dauphin et un lion assis apparaît aussi dans le missel de Saint Denis.
L’hypothèse de la connotation héraldique du dauphin se confirme. Le blason du Dauphin du Viennois (Dauphin d’azur, crêté de gueules) correspond parfaitement, et donc les qualités du lion allégorique (chasseur, amant) sont transmises au porteur du blason dans la vraie vie : le Dauphin du Viennois.
Le titre de Dauphin, associé aux héritiers désignés de la couronne royale durant l’ancien régime, est le résultat du transfert à la couronne en 1349 de la province indépendante du Dauphiné du Viennois, jusqu’alors dirigée par la dynastie de La tour du Pin.
Contexte Historique :
Tous les artistes impliqués dans la production originelle du Livre d’Heures de Valréas travaillaient intensément pour la cour Royale et les institutions ecclésiastiques qui lui étaient très proches. Bien que la plupart d’entre eux aient travaillé occasionnellement pour des commanditaires de moindre importance, la collaboration exceptionnelle de tous est un fort indice d’une commandite royale. Urb 603 est souvent considéré comme le bréviaire produit pour Blanche de France, fille de Philipe V le long et de Jeanne de Bourgogne, quand elle prit le voile à Longchamp en 1319. François Avril suggéra que le manuscrit avait été commandé par Jeanne de Bourgogne pour elle-même, mais ceci ne change rien au contexte du Livre d’Heures de Valréas.
En se basant sur les critères stylistiques et les collaborations d’artistes, la production du livre se situe entre l’introduction des anges « giottoesques », soit approximativement entre 1319 et 1320, et naturellement la mort des artistes, soit pour Jean Pucelle en 1334 et pour Richard de Verdun à peu près au même moment. Si les heures de la Croix et du Saint Esprit sont des additions postérieures, la partie originelle est probablement antérieure à l’introduction de ces liturgies. Si elles font parties de la première version, ce qui est peu probable, le manuscrit serait donc postérieur à leur introduction. Leur introduction a été datée de la papauté de Jean XXII, 1316 à 1334. Elle peut être affinée à 1331 au plus tard par une mention dans les Heures de Lisle. La date au plus tôt est plus compliquée, certains documents faisant état de ces liturgies en 1312 et en 1326 (notes d’achat de Mahaut d’Artois).
En considérant les allusions nuptiales de l’iconographie, M. BERGQVIST-RYDEN identifie deux contextes qui ont pu engendrer la production du manuscrit dans la période visée, sans pour autant qu’il soit possible d’éliminer d’autres possibilités.
Si les Heures de la Croix sont postérieures à la production originale, cette dernière peut se situer entre 1319 et 1330, sinon elles ne le sont pas, elle peut se situer entre 1330 et 1334. Dans cette dernière hypothèse, il faut se rappeler que Les Miracles de Notre Dame et Le Miroir ont été commandés par Jeanne de Bourgogne, épouse de Philippe VI de Valois. La reine était mécène et bibliophile, attentive aux artistes talentueux. Si le Livre d’Heures de Valréas peut lui être associé, un évènement potentiel pourrait être les fiançailles de la fille de Jeanne et Philippe VI, Marie de France, avec Jean de Limbourg en 1332. La reine Jeanne avait de bonnes relations avec Jean XXII, qui pourrait expliquer l’apparition précoce de ses textes, peut-être même dans le cas des additions postérieures. Après la mort prématurée de la princesse Marie, le manuscrit a pu être donné à son frère le futur roi Jean Le Bon, puis à Charles V au moment du remplacement de certaines parties par le Maître du Couronnement de Charles V ou quelqu’un de son proche entourage.
Dans le cas d’une date plus précoce, M. BERGQVIST-RYDEN, en accordant un rôle particulier aux symboles héraldiques du dauphin et du lion associés au Dauphin de Viennois, est tenté d’associer le manuscrit à un évènement vers lequel tous les indices convergent : les fiançailles puis le mariage de Guigues VII, Dauphin du Viennois et de la princesse Isabelle, fille de Philippe V Le Long et de Jeanne de Bourgogne le 17 mai 1323. Si les Heures de Valréas ont été données comme cadeau de mariage à la princesse Isabelle ou à Guigues, il y a au moins trois commanditaires possibles avec les mêmes opportunités et motivations.
Le candidat le plus évident est Jeanne de Bourgogne la mère de la mariée. La reine Jeanne est associée avec la première apparition de Jean Pucelle, au sujet du sceau de l’hôpital Saint Jacques aux Pèlerins, autour de 1323, et son rôle a été probablement crucial dans la renommée de Pucelle. La principale raison en sa faveur est son implication dans le déjà mentionné Bréviaire de Blanche de France, urb 603. Le fait que ce manuscrit ait été commandé pour cette occasion ou pour l’usage personnel de Jeanne de Bourgogne est de moindre importance dans ce contexte, que le fait que le Bréviaire a été produit par les mêmes artistes, tout aussi nombreux, que le Livre d’Heures de Valréas.
D’après le registre des religieuses admises à l’abbaye de Notre Dame de Longchamps, la princesse Blanche a pris le voile la veille de la chandeleur 1318, en présence de Philippe V Le Long, Jeanne de Bourgogne, Charles de Valois, Charles de La Marche, Mahaut d’Artois, Nicolas de Lyre et l’archevèque de Reims, le cousin du roi, Robert de Courtenay-Champignelles.
Si Isabelle de France reçut le livre, elle et Guigues sont connus pour être allés à Avignon à de nombreuses occasions. Par exemple, le 14 juin 1333, elle assista au mariage de la nièce du Pape, Marie de la Vie de Villemure avec Beraud I, dauphin d’Auvergne, et du 5 janvier au 25 février 1333 Guigues VIII séjourna à Avignon.
Le manuscrit a pu être laissé sur place après la mort de Guigues et pris par le prince Charles quand il a été nommé Dauphin en 1349. Après la substitution des pages, le manuscrit a pu être rendu à Humbert II (frère de Guigues et qui lui succède), présent à Visan près de Valréas. Le manuscrit a pu, comme le bréviaire susmentionné (Urb 603), ne pas être à l’intention de la fille, mais produit pour la reine Jeanne elle-même, n’importe quand entre les fiançailles d’Isabelle avec Guigues en 1317 et son mariage en 1323. Le confesseur de Jeanne et son exécuteur testamentaire, Pierre Bertrand d’Annonay, devint cardinal et s’installa à Avignon. Il était apparemment ami avec Humbert II, à l’époque Dauphin du Viennois.
Le deuxième candidat est Mahaut d’Artois, mère de la reine et grand-mère de la mariée. Une bibliophile, sur laquelle nous disposons d’une abondante littérature, connue pour avoir commandé de nombreux manuscrits auprès de libraires parisiens et avoir pris une part (trop) active à la cour, elle a toutes les caractéristiques d’un mécène à même de commander un tel ouvrage. Au-delà de son rôle de grand-mère influente, il existe un élément, purement spéculatif, pour la relier aux Heures de Valréas. Le 4 mai 1323, Mahaut a payé la somme substantielle de huit livres à l’enlumineur Maciot.
Maciot est connu uniquement de sources écrites et aucun manuscrit n’a pu lui être associé avec certitude. Il était valet de la maison de Robert II d’Artois, père de Mahaut, et en 1302 à la cour royale de Philippe le Bel, Louis X et Philippe V.
La position stratégique de Maciot au sein de la cour rend son nom intéressant en lien avec de nombreux enlumineurs anonymes, connus pour avoir travaillé pour des commanditaires royaux, le maître de Méliacin, le Maître de Fauvel, le Maître de Gand, le Maître de la concordance des évangiles entre autres. Son nom a été associé avec ceux de Mahiet et Jacquet de Maci, latinisé Jacobus Matthei, alors que Maciot dans des sources latines est appelé Maciotus, faisant plus référence à un surnom toponymique qu’à un dérivé de Matthieu, ce qui exclut une identification à Mahiet et à l’enlumineur Matthieu d’Arras.
Ces digressions visent à montrer l’accès de l’artiste aux ouvrages des collections royales, rendant suspect l’insaisissable Maciot. Indépendamment de l’identification possible de cet artiste à Maciot, il est fort probable qu’il a agi comme agent ou coordinateur du Livre d’Heures de Valréas si Mahaut en est le commanditaire.
Le troisième commanditaire possible est Clémence de Hongrie, reine douairière après le décès de Louis X Le Hutin et sœur de Béatrice de Hongrie, tante de Guigues VIII, Dauphin du Viennois. Dans son testament, elle a laissé à Guigues un gros chapelet fabriqué par Simon de l’Isle, un tableau à sa mère Béatrice et sa vaste collection d’œuvres et de manuscrits est détaillée dans un inventaire de 1328. Beaucoup d’objets ont été acquis par Jeanne d’Evreux. Clémence a très bien pu être impliquée dans la commandite du bréviaire de Poissy et était définitivement la reine du bon goût et de l’amour de l’art. Elle a vécu à Aix et à Avignon à partir de 1317, géographiquement proche de sa sœur et de son neveu. Elle est retournée à Paris en 1321 où elle a eu toute possibilité de commander le Livre d’Heures.
Aucun de ces scénarios n’explique de manière satisfaisante comment le manuscrit a fini à Valréas. La plus vieille mention de la présence de manuscrits dans les couvents de Valréas date des années 1830, et dans la mesure où il n’y a aucune indication sur le couvent auprès duquel le manuscrit a été acheté, M. BERGQVIST-RYDEN a fait l’hypothèse qu’il s’agissait du couvent franciscain, le couvent des Cordeliers, réinstallé dans les murs de la ville en 1391. Il y avait aussi un couvent bénédictin Notre Dame de Nazareth et le couvent de femmes bénédictin Sainte Marie d’Aleyrac dépendant de l’Abbaye de l’île Barbe à Lyon, établi à Valréas en 1382. M. BERGQVIST-RYDEN ne trouve aucune raison évidente de croire que le Dauphin de France ait pu donner le manuscrit directement à un couvent. Charles V avait bien pour habitude de vendre, échanger ou donner des livres et une solution plausible est peut-être un don à un prélat de la cour papale d’Avignon, qui l’aurait déposé à une date inconnue à Valréas. De possibles intermédiaires pourraient être le cardinal Giuliano della Rovere, le futur pape Jules II, qui avait acquis le prieuré de Notre Dame de Nazareth à Valréas en 1476, alors archevêque d’Avignon, ou Charles II de Bourbon, abbé de l’île Barbe de 1485 à 1488, mais c’est pure spéculation.
Ce qui reste est le livre d’Heures de Valréas lui-même, dé-relié, dispersé, dépossédé de sa gloire passée, mais malgré tout un témoin de l’art de l’enluminure parisienne à son apogée.
Magali Saint-Donat
11 mars 2023